« Où passe l’aiguille » de Véronique Mougin

« Où passe l’aiguille » est à double titre un roman sur la transmission.
D’abord, il s’agit de la transmission entre un père et son fils. le père de Tomi aimerait que son fils devienne à son tour couturier, mais Tomi préférerait être plombier… pour la salopette. Au final, Tomi révèlera sa vocation pour la couture dans les camps de concentration : son père n’y sera pas pour grand chose. de toute façon, que peut transmettre un père à son fils dans un lieu qui lui nie jusqu’à son humanité ?
Ensuite, il s’agit aussi de la transmission de la mémoire, celle des survivants de la Shoah qui sont aujourd’hui de moins en moins nombreux pour en témoigner.

Véronique Mougin s’est magnifiquement réappropriée le témoignage d’un de ses parents. Le récit de la vie dans les camps en est troublant d’authenticité et a créé chez l’historien que je suis, un débat profond sur la place que peut (doit ?) avoir le roman dans le devoir de mémoire.
Ma lecture a souvent été perturbée par le parallèle que j’ai pu faire entre ce que je lisais et les récits ou témoignages que j’ai pu lire ailleurs (notamment celui de Primo Lévi) : la frontière entre le roman et le témoignage était parfois si mince que cela m’a profondément troublé.

Je voulais juste qu’elle arrête de parler.
– Et pourquoi ? Pourquoi elle aurait dû se taire ? Si personne ne parle d’eux, qui s’en rappellera ?

Si la plume de Véronique Mougin est moins convaincante sur la deuxième partie du roman, qui se passe après guerre, dans les coulisses de la haute couture parisienne, elle s’illustre dans la justesse de ses personnages et les enjeux posés à travers le roman. L’auteure parvient à restituer toute la complexité de la relation père-fils sans pour autant jamais en faire le sujet principal de son roman. Il en va de même sur la question de la reconstruction qui est le fil rouge de la deuxième partie du roman, sans jamais l’être ouvertement.

Au final, je regrette simplement le dernier chapitre qui trouble davantage encore la frontière entre le roman et le témoignage. Bien que les propos y soient justes, ils sonnent comme une morale De La Fontaine, ce dont le roman pouvait facilement se passer.

Un roman sur lequel je suis longuement revenu dans le dernier épisode du podcast « Des livres et nous ! ».

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